S’Encabaner

Antoine Perrot / Tilman

Nov 2021

DU 24 NOVEMBRE AU 17 DÉCEMBRE 2021

Comprendre.

Si en allemand, le terme équivalent, verstehen, signifie “tourner autour”, en anglais understand nous rappelle qu ‘il faut passer “rester sous” tandis que le terme français hérité de la forme latine comprendere suggère de “prendre avec”. Ce simple mot pourrait ainsi résumer cette exposition : il nous faut changer de point de vue – et se déplacer – pour saisir toute la richesse des œuvres mises à l’honneur dans ce duo show.
Dans un souci de rapporter avec la plus grande justesse les propos des deux artistes quant à leurs démarches artistiques respectives, nous avons mis en place un format d’entretien dont nous vous délivrons la synthèse. Les notions d’espace, de couleur et de travail manuel sont au coeur de cet échange.

Amélie Boulin

ENTRETIEN

Quel est votre rapport à l’espace ?
“ Je réfléchis à l’espace comme un peintre, c’est-à-dire le plus souvent à la question de l’espace à partir de deux dimensions et à un face à face avec le spectateur. C’est aussi le cas, par exemple, de la peinture réalisée avec des ballons. Celle-ci s’intitule « Muralnomade (5)», Muralnomade étant le nom donné par Le Corbusier aux tapisseries, c’est-à-dire au fait que, comme pour les tableaux, on peut les changer de lieux d’accrochage, que ce ne sont pas des œuvres in situ (donc pas des installations conçues pour un lieu particulier).”
Antoine Perrot

“En général, mes interventions spatiales sont une enquête sur l’espace/la spatialité en relation avec l’espace humain et son impact sur notre perception. […] L’espace et/ou la spatialité sont compris comme un « matériau » autonome et éphémère, de potentiel créatif. […]
Ces « architectures » improvisées, qui peuvent être vues comme un « dessin dans l’espace »[…] visent à activer nos sens et nos capacités à expérimenter, à socialiser, à nous connecter plutôt qu’à soutenir le rôle de simple spectateur ou consommateur d’idées créatives. Elles forment une réponse personnelle et émotionnelle envers l’espace ou le lieu donné et questionnent les frontières de l’espace personnel et du domaine public. […] Plutôt que d’être considérées comme un objet dans un espace donné et dans sa relation à une spatialité, les installations in situ visent à structurer ou restructurer l’espace existant, à créer des parcours transparents, à améliorer la vision et la perception périphériques et enfin à révéler l’interdépendance et les corrélations entre les sujets.”
Tilman

Quelle valeur accordez-vous à la couleur ?
“ La couleur est un des principaux enjeux de mon travail. Je ne me sers que de couleurs données, trouvées, déjà présentes dans notre environnement, j’ai appelé cette appropriation de la couleur des objets du quotidien ou des matériaux de décoration, le « ready-made color ». A la différence des peintres qui donnent forme et sens à la couleur, j’utilise des matériaux qui ont déjà une forme et une couleur : le sens de la couleur est celui de l’usage de ces matériaux. Et la plupart du temps, ces couleurs vives sont liées à des matériaux et des objets qui sont destinées à des activités improductives (des jeux, le sport, la convivialité et la fête, la communication publicitaire, etc.). La couleur trouvée dans notre environnement social est le plus souvent une déclaration de liberté, on affiche avec la couleur le fait de ne pas rentrer dans le cadre du travail, du sérieux, de l’ennui, elle devient une déclaration de la marge, du hors-piste, de l’enfance, de la joie et des jeux de séduction…”
Antoine Perrot

“Semblable à l’espace, je comprends la couleur comme une matière première, comme une constitution non hiérarchique de mon processus artistique ; la couleur dans mon utilisation est la « lumière », qui dessine l’espace ou notre perception de celui-ci.
Le choix et l’application des couleurs sous-tendent une certaine intuitivité au sein du processus créatif.
Dans les interventions ou installations à grande échelle (dans lesquelles j’utilise majoritairement des tissus de toutes sortes), les plans ou surfaces colorés servent principalement à amplifier la vision périphérique, à créer de la transparence, à créer une ambiance visuelle, à faire respirer la structure existante et à asseoir l’idée de lumière/couleur comme celle d’un mouvement et superposer la perception de la spatialité.”
Tilman

Quelle est l’importance du travail manuel de la matière ?

“Mes pièces demandent le plus souvent un temps très long de fabrication. Cette fabrication est entièrement manuelle. La présence de la main est, au même titre que la couleur, une revendication d’un temps différent, un ralentissement du temps dans une société où il faut toujours aller très vite. Le travail manuel est aussi une sorte de résistance à l’aspect robotisé, industriel, lisse et glacé des objets qui nous entourent et de nos vies dans lequel nous sommes de plus en plus enfermés (le numérique est un des ces aspects le plus visible). La main introduit des défauts, des erreurs, des doutes et des surprises dont naissent souvent d’autres possibilités d’œuvres. C’est aussi une manière de s’interroger sur ce qu’on fait et une certaine forme de satisfaction dans le travail (ce qui n’est plus le cas dans la plupart des formes salariées du travail). Quand le travail devient répétitif, comme souvent dans mes pièces, c’est aussi au moment du faire, une ouverture vers la méditation, un oubli de soi…”
Antoine Perrot

“La fabrication manuelle réelle et le simple fait de construire ont une grande importance dans mon travail. L’idée de travail manuel réfléchit sur la contraposition de « idée » et de « concept » – un concept est, selon mes termes, une idée manifestée, tandis qu’une idée reste dans le flux, est flexible et favorise l’adaptation et la (re-)construction, ce qui est seulement perceptible dans l’acte physique du travail manuel.
Le travail manuel permet de s’engager mentalement dans le processus de construction, d’altération, d’adaptation, de réajustement et de présence mentale et d’entrer dans un processus d’addition et de soustraction, d’agir et de réagir ainsi que de s’immerger dans les subtilités des moments perceptifs créés par le processus de construction.
Comme Claude Levi Strauss oppose l’idée de « bricoleur » à celle d’« ingénieur » ; le bricoleur qui construit selon ses besoins et au contraire « l’ingénieur » qui s’efforce de concevoir une situation optimale (rentable) guidée par la fonction et la praticabilité.”
Tilman