[Mapping the Database] Bases de données : trajectoires et perspectives des bases de données
DU 25 AU 28 NOVEMBRE 2002
Substract the Sky (Soustraire le ciel)
Sharon Daniel
Une carte plus grande que le territoire
Karen O’Rourke
En dehors du matériel informatique peu d’éléments fixes venaient structurer l’espace. Deux cloisons divisaient la salle Michel Journiac en trois parties dans le sens de la largeur. Quelques planches maculées de peinture et soutenues par des tréteaux nous rappelaient que nous étions dans une faculté d’arts plastiques. Les unités centrales étaient debout par terre sous ces tables de fortune où on avait posé claviers et souris. Un vidéo-projecteur montrait sur le mur latéral l’interface graphique d’une base de données en cours de construction. Dans la salle de droite, légèrement surélevée, se trouvaient trois ordinateurs munis chacun d’une connexion Internet et d’un logiciel de retouche d’images. En pénétrant dans la salle de gauche, au delà de la partition, on apercevait deux autres postes reliés à des vidéo-projecteurs. Là par moments les artistes ou les programmeurs, debout, exposaient au public, debout lui aussi, les projets tout en parcourant avec le pointeur des pages/écrans qu’ils faisaient défiler sur le mur blanc. A d’autres moments les vidéo-projections servaient de support à des discussions entre artistes et développeurs. À travers la porte entrouverte de la salle de réserve, un ordinateur portable complétait l’installation : c’était le serveur du projet Subtract The Sky.
Les notions d’émergence et d’auto-organisation sont récemment passées au premier plan des recherches actuelles dans les “arts médiatiques”. Mettre en œuvre des systèmes de classification où les noms, les catégories et les structures des données associées sont définis à la base par des usages collectifs au lieu d’être imposés d’en haut, tel est notre objectif. La cartographie devient ici une métaphore de l’interaction au sein de systèmes dynamiques et évolutifs qui permettent à des internautes de créer, d’archiver et d’utiliser leurs propres représentations. Ces structures explorent la dimension esthétique de la base de données.
En effet nos recherches partent du constat que les bases de données jouent un rôle déterminant dans la structuration de notre monde sensible et de notre sensibilité. Notre perception de l’importance et de la position relative des objets de notre entourage dépend en grande partie de notre contexte socioculturel. La classification et la cartographie impliquent l’interprétation des données de l’expérience à l’aide de systèmes de représentation qui sont culturellement construits. Souvent hiérarchiques, ils formatent nos perspectives et nos attentes, le plus souvent à notre insu. Les techniques de l’information et de la communication numériques ont permis de créer un contexte matériel, des outils et des environnements qu’on pourrait employer pour mettre en cause les représentations dominantes et favoriser des constructions “alternatives”. Ici, notre approche est à la fois critique et utopique.
L’exposition/atelier à Fontenay a permis de présenter et de tester des prototypes de deux systèmes, Subtract the Sky (Soustraire le ciel) et Une carte plus grande que le territoire. Pour faire l’expérience du dispositif, le visiteur devait s’impliquer personnellement : répondre à un questionnaire, réaliser une carte, contribuer à la construction de catégories. Faute de pouvoir appréhender par le seul regard les systèmes présentés, il pouvait au moins s’offrir l’expérience (grisante ou frustrante) de les faire fonctionner.
Ces systèmes complexes impliquent une série d’interactions souvent asynchrones. Le temps réel de la réaction réflexive ou spontanée est conjugué à d’autres temporalités, dont celle de la base de données qui se construit, s’enrichit, se transforme au fur et à mesure des contributions. La qualité de la participation, la nature et la quantité des apports font que la base de données qu’on consulte un jour n’est déjà plus la même le lendemain et peut être entièrement renouvelée ou restructurée une semaine ou un mois plus tard.
Les interfaces sont appelées à se métamorphoser elles aussi : pour refléter les changements survenus dans les contenus, pour anticiper sur les événements ou les données à venir, pour répondre aux attentes des utilisateurs. Contrairement à une idée reçue sur l’hypertexte, l’ordre dans lequel les informations sont présentées est extrêmement important, les choix proposés à tel ou tel moment du parcours conditionnent le comportement ultérieur de l’internaute. Certains doivent être proposés dès le départ, d’autres auront plus de pertinence s’ils interviennent plus tard. C’est pourquoi, selon Sharon Daniel, la consultation des données doit être précédée d’une séquence d’ouverture qui invite les internautes à réfléchir sur le concept de cartographie et les processus impliqués dans la lecture et la construction d’une carte.
En effet quelles sont les notions en jeu ici ? Qu’est-ce qu’une carte ? un itinéraire ? une base de données ? Quelle est la différence entre une carte et une image ? Sans terrain d’entente, sans “lieu commun” entre artiste et participant, le système ne peut fonctionner. Peut-on ajouter à Subtract the Skyn’importe quelle image du moment où on la qualifie de “carte” ? Suffit-il de relier ensemble des collections d’images réalisées auparavant et de former un faisceau de nœuds dans la base de données? On voit qu’ici la limite n’est pas aisée à fixer entre une carte et une simple image dès lors que la première n’est plus strictement géographique.
L’interface d’Une carte plus grande que le territoire, j’avais prévu de la construire autour des informations tirées des bases de données de l’Institut Géographique National, ce qui permettrait de situer dans l’espace physique les itinéraires décrits : chaque parcours serait donc tracé sur un plan superposé à des données topographiques. Pour cela il faudrait des itinéraires “vrais” (ou plausibles) qui citent des lieux identifiables. Or quel que soit le degré de précision des questions posées, nombre de personnes interrogées les ont “détournées” pour décrire des itinéraires fictifs, fantaisistes : des voyages “autour de ma chambre” (difficilement situable) jusqu’au Pôle sud en passant par “le chemin des briques jaunes”. Bien entendu je peux me contenter d’un algorithme qui écarterait automatiquement ce genre de réponse. Mais je peux aussi choisir d’ajouter à la base de données une nouvelle catégorie d’itinéraires, de proposer d’autres cartes qui repèrent les itinéraires selon des regroupements sémantiques.
Un système dynamique doit maintenir en permanence un équilibre entre l’ouverture sur des interprétations inattendues, “alternatives”, et le respect des règles qui lui permettent de fonctionner. C’est parfois acrobatique. Certaines interventions nous ont amenées à réfléchir sur les attentes que nous avions vis-à-vis des utilisateurs. Peut-on, doit-on appliquer strictement un protocole défini au départ, au risque de devoir écarter des réponses souvent inventives? Mais si on modifie les règles de base, on tire sur les ficelles du système, on intervient d’”en haut” et cette intervention risque d’introduire une nouvelle hiérarchie…
Cette recherche a reçu le soutien du Fonds France-Berkeley.