DU 26 JANVIER AU 12 MARS 2021
Fabriquer, ou construire pour mieux déconstruire, telle semble être la thématique principale qui relie les œuvres d’Anne-Valérie Gasc présentées à la Galerie Journiac.
L’œuvre qui ouvre cette exposition est un objet pour le moins énigmatique. Une machine d’impression en trois dimensions ? Presque : la buse, qui libère avec régularité le flux de micro-billes de verre, bâtit, en effet, mais bâtit une ruine. Nommée « Machine célibataire », elle est une version décontextualisée de l’installation in situ intitulée Les larmes du Prince, Vitrifications qui eut lieu à la Grande Halle du centre d’art des Tanneries en 2019. Principe constructif autonome, le robot imprime le modèle architectural enregistré, ou du moins, le pense. En vérité, comme un château de sable sans eau, la poussière de verre n’a pas le temps de prendre forme que déjà elle s’affaisse ; que déjà apparaît « une ruine spontanée ». De ce fait, l’installation est un dispositif critique à l’égard d’une partie de l’architecture contemporaine, productrice de bâtiments à la géométrie complexe et tous de verre vêtus (à l’instar de la Fondation Louis Vuitton). Pour l’artiste, le verre est un matériau omniprésent qui souligne la « ruine de notre contemporanéité » : le verre se brise, le verre s’effondre, le verre est poussière.
Pourtant, le monticule a une origine architecturale : ces dix sérigraphies de l’artiste, accrochées sur les murs opposés. Sorte de gribouillis, Anne-Valérie Gasc cherche à établir « les archétypes de l’approche paramétrique de l’architecture ». Il s’agit de produire un modèle 3D qui, une fois imprimé par la machine, ne puisse devenir un objet d’appropriation. Le gribouillis impose son état, celui de dessin, incompatible avec un usage fonctionnel. Par conséquent, ces dix itérations ou déclinaisons sont autant de modèles constructifs qui annihilent l’action même de construire.
Mais la ruine ne signifie pas pour autant l’absence d’œuvre. La clé est dans la contemplation. Dans le film réalisé par l’artiste lors de l’installation de 2019, le travelling de la caméra s’émancipe des mouvements rodés de la buse constructrice et le regard est davantage hypnotisé par le paysage de dunes cristallines : la contemplation supplante la technique. Ainsi, la poésie s’instaure, et dans la ruine, et dans les rouages de la mécanique. Dans une suite logique, la salle latérale invite à l’introspection de la boîte noire par la lecture automatisée du journal de bord qui relate tous les écueils et les difficultés rencontrés par la machine. Version papier, le livre d’artiste nommé Héphaïstos 2 – en lien avec le nom du programme du robot – « montre la poésie qui se loge dans tous ces dysfonctionnements. » Roman à suspense, la technique est productrice même quand tout s’effondre, car c’est dans la péripétie que se niche l’histoire. L’artiste pense son œuvre comme un récit, une fable dont la morale finale engage à rechercher un sens dans l’usage fait de la technique, et où la machine voit lui échapper le résultat initialement projeté.
« Quels que soient les outils, le plus signifiant est dans le dessaisissement ; c’est là qu’apparaît le sens. »
Dans l’œuvre d’Anne-Valérie Gasc, il faut distinguer pouvoir, c’est-à-dire contrôle, et puissance ou comment rendre possible les choses.
Amélie Boulin
© Florine Garcin