DU 18 NOVEMBRE AU 11 DECEMBRE 2015
Quand on est enfant, on n’use pas de mots mais on est capable de ressenti puissant. Stéphane Thidet, petit, a habité avec ses parents dans une maison noyée dans un grand jardin. Probablement si Stéphane fait un effort de mémoire, il peut reconstituer les frontières vagues de ce domaine. Il pourrait y voir sans doute un jardin, non pas un jardin d’agrément mais plutôt un espace de liberté fait de merveilles et de mystères….et aussi se remémorer l’impression d’une violence ouverte, réelle qui faisait vibrer son être visible dans chaque détail de la vie et de la nature environnante.
Ces impressions d’enfance sont l’une des pistes récurrentes qui sous-tend le travail de Stéphane Thidet. En proposant de montrer à la galerie Michel Journiac une série d’œuvres réalisées entre 2006 et 2013 et en intitulant ce solo show Au fond du jardin, Stéphane Thidet démontre à quel point son travail se nourrit de son histoire mais toujours de manière duelle. Il l’explique d’ailleurs avec une grande perspicacité :
« J’aime l’autonomie de la mémoire et du souvenir. Un souvenir a plusieurs vies. Quels sont mes vrais souvenirs ? Ceux cristallisés par les histoires de mes parents ou celui créé par une photographie ? Cette amnésie devient un terrain de jeu incroyable. En jouant avec la mémoire collective, j’ai l’impression que je peux la fabriquer. D’une certaine manière, je la préfère à la mémoire. »
Sans titre (Le Portique) 2008 est une balançoire/portique arrêtée dans son mouvement. L’artiste déploie là les références d’interdit et de surprotection mais aussi, dans ce quasi arrêt, la notion de péril. Il se dit « poursuivi par les thématiques de la fuite et de l’échec. Son travail débute toujours à partir d’un fait que qu’il ne maîtrise pas ou de son inadaptation à une situation ». Il est vrai qu’une impression de vide et presque d’effroi se dégage de cette sculpture d’agrès, de corde et d’altuglax.
Il faudrait sans doute interroger Stéphane Thidet sur cette habitude à ne pas nommer certaines œuvres, pourtant parmi les plus marquantes. Je pense au Refuge ( 2007) – cabane de bois balayée par la pluie – ou au Terril (2008), deux tonnes de confettis noir. Faut il y voir là le besoin d’une signification de l’œuvre sans aucune autre référence que ses propres qualités matérielles et informelles ? Ou au contraire, un moyen de s’éloigner d’une réalité trop immédiate ?
Je n’existe pas (2011) est une installation de 8 écrans diffusant 8 vidéos couleur en boucle, là encore pas de narration mais le clignotement d’une guirlande et le son d’ampoules éclatant de manière aléatoire, tirées avec un pistolet. Des stands de tirs de fête foraine conceptuels liés à cet univers dans un mode aléatoire, celui de la disparition.
Half moon. En 2012, Stéphane est en Californie : il réalise à la Villa Montalvo, à Saratoga une vidéo de 9mn. Tout dans la narration est inquiétant : le chant des grillons, les sculptures munies de leurs sourires moqueurs, une biche qui traverse le jardin. Des animaux sauvages y prennent possession du monde des humains. Et la technique d’enregistrement de la vidéo qui filme comme une caméra de surveillance ne fait qu’amplifier un sentiment diffus et grandissant de malaise.
Pour Le Nid (2013, morceau de bois, billes, environ 150 x 40 cm), l’artiste a récupéré une branche dans une rivière puis l’a creusée jusqu’à ce que l’espace soit suffisant pour y stocker ses billes de petit garçon. C’est là encore une action presque animale, une manière de cacher un trésor où les simples billes deviennent des diamants.
Le Fagot (2012) est une sculpture faite de poutres en vieux chêne, encerclées par du jeune chêne, des matériaux bruts, ramassés sur une ruine qui appartient à l’artiste. Le Fagot est entravé, privé de liberté. Et parce que justement l’artiste travaille à partir d’éléments réels souvent naturels, il met en opposition les parties laissées à l’état brut et les ajouts, il attire le regard sur cet enfermement.
On aura compris qu’à travers son oeuvre, Stéphane Thidet aime construire des «fictions», sorte de ré-agencements matériels de signes et de volumes. Il dresse des cartes du visible, des trajectoires entre le visible et le dicible, des rapports entre des modes de l’être, des modes du faire et des modes du dire. Bien plus, il introduit dans les corps imaginaires de son bestiaire des lignes de fracture, de désincorporation.
La question de contretemps renforce cette sensation de rupture. Un grand nombre d’œuvres proposent une temporalité différente, explorent la matière élastique du temps et soulèvent la possibilité d’être en marge d’un univers trop formaté. Mais ce qui est magique dans le travail de Stéphane Thidet c’est qu’il nous livre ces pas de cotés avec une douceur ensorcelante. Et si son travail est avant tout un travail de glanage, c’est cette folie et ce respect, cette prise de risque intellectuelle et artistique qui font de lui, pour moi, un des artistes importants de sa génération.
Françoise Docquiert