DU 10 OCTOBRE AU 10 NOVEMBRE 2023
« Arte será vida », « l’art sera la vie », affirme, comme un écho à Rrose Sélavy, Lea Lublin en 1969 pour son Opération commando télédirigée de communication. Au critique d’art Pierre Restany, rencontré quelques années auparavant, elle écrit que cette expérience, pensée pour la rue, a pour objet de formuler une possible synthèse « Vie-langage-art ». Cette assertion qui s’affiche comme un slogan est repris dans les parcours majeurs que sont Fluvio Subtunal (1969) créé à Santa Fé, puis Culture Dedans / Dehors le musée (1971) mis en place à Santiago du Chili. Du 10 octobre au 10 novembre l’exposition Lea Lublin, Arte será vida présente une traversée de la pratique polymorphe de l’artiste afin d’en laisser percevoir la grande cohérence. En effet, depuis ses premiers dessins réalisés à l’issue de sa formation à l’école des Beaux-arts de Buenos Aires jusqu’à ses derniers projets présentés dans les émissions culturelles à la télévision française, ses œuvres, imprégnées des sciences humaines de son temps, questionnent sans relâche l’espace public entendu comme espace de circulation et de communication.
Venue à Paris dès 1951 pour compléter sa formation, Lea Lublin reçoit le soutien de personnalités influentes du monde de la culture telles que le peintre Paul Rebeyrolle ou le poète Louis Aragon qui exprime son admiration pour sa peinture dans les Lettres françaises (1953). Les préoccupations sociales de l’artiste affleurent au travers des paysages urbains qu’elle saisit avec un réalisme teinté de mélancolie. Sa rencontre avec Nicolas Guillén en 1955, le succès de la révolution cubaine en 1959, sa proximité avec des soldats combattants aux côtés de Che Guevara et son séjour dans la jungle exacerbent son engagement qui se manifeste à partir des années soixante par de larges peintures néo-expressionnistes chargées de témoigner de la violence du monde. Quoique exposé parfois dans le contexte du surréalisme, en particulier en 1967 au sein de l’exposition Surrealismo en la Argentina, ce néo-expressionisme s’inscrit pleinement dans les réflexions parisiennes autour de la Nouvelle Figuration, pensée par Michel Ragon comme un mouvement exprimant « nos anxiétés, nos complexes et notre peur d’une finale, totale et définitive destruction ».
Jugeant la peinture « de chevalet » limitée dans sa capacité à mettre l’individu en action, Lea Lublin imagine des œuvres participatives telles que la célèbreJoconde aux essuie-glaces (1965) ou les Multiplications qui déclinent dans l’espace social une iconographie médiatique faite de profils archétypiques se dédoublant sous l’effet de la circulation du regardeur. Cette période est marquée par l’utilisation de moyens « pop » au service d’un projet social, philosophique et politique, caractérisant le « pop idéologique ». 1968 constitue un nouveau tournant à la suite duquel Lea Lublin étend sa pratique d’abord en galerie (Terranautes à l’Institut Torcuato di Tella) puis à l’extérieur (Fluvio Subtunal, Penetration / Expulsion, Flor de Ducha, Culture Dedans/Dehors le musée). Exilée à Paris à la suite de l’installation de plusieurs dictatures en Amérique du Sud, Lea Lublin transforme son action en une infinie interrogation des représentations : formes plastiques telles que les statues et les architectures, mais également formes sociales sur les places et les marchés, et formes mentales concernant l’idée d’art elle-même, allant jusqu’à interroger la figure de l’artiste devenu icône malgré lui, Marcel Duchamp.
L’itinéraire de Lea Lublin s’inscrit dans un dialogue permanent avec les intellectuels et les artistes de sa génération tels que Oscar Masotta, les signataires du manifeste Arte de los Medios de Comunicación Masivos (Eduardo Costa, Roberto Jacoby, Raúl Escari), Eliseo Verón, Roland Barthes, Philippe Sollers, Julia Kristeva, Jacques Lacan, Sarkis, Françoise Janicot ou encore Nil Yalter. Le Centre Saint Charles, où l’artiste a réalisé les Discours sur l’art (1977-1979) sous la direction de Bernard Teyssèdre puis a enseigné, constitue un des lieux de ces dialogues grâce auxquels sa pratique révolutionnaire s’est affirmée.
RENCONTRES AUTOUR DE L’OEUVRE DE LEA LUBLIN : Galerie Michel Journiac
- Mardi 7 novembre
10h30 à 17h
organisées par Lydie Delahaye et Benjamin Sabatier
REMERCIEMENTS
Nicolas Lublin, Catherine Strasser, Nil Yalter, Benjamin Sabatier, Dominique Blais, Grégoire Blanchot, Juliette Valenti, Tom Tanguy, Maelle Goy, Ratshiya Thiruchelvam, , Lisbeth Lodoïsk, Marie Duret-Robert
Photographie © Gina Fadale